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Christopher R. BROWNING, Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la solution finale en Pologne, traduit de l'anglais par Elie Barnavi, préface de Pierre Vidal-Naquet, Paris, Les Belles Lettres, Collection Histoire, 19

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Christopher R. BROWNING, Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la solution finale en Pologne, traduit de l'anglais par Elie Barnavi, préface de Pierre Vidal-Naquet, Paris, Les Belles Lettres, Collection Histoire, 19 Empty Christopher R. BROWNING, Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la solution finale en Pologne, traduit de l'anglais par Elie Barnavi, préface de Pierre Vidal-Naquet, Paris, Les Belles Lettres, Collection Histoire, 19

Message  Admin Mer 22 Déc - 16:04

Trois années s'étaient écoulées entre la parution à New York en 1985 de The Destruction of the European Jews, l'ouvrage monumental de Raul Hilberg sur la Shoah, et son édition en traduction française, aux éditions Fayard. C'est aussi rapidement que fut édité en langue française Ordinary Men. Reserve Police Battalion 101 and the Final Solution in Poland, ouvrage paru en 1992 d'un de ses élèves, Christopher R. Browning, qui en aborde un aspect jusqu'à présent peu étudié.

C'est en utilisant les archives de procès et d'enquêtes judiciaires menées de 1962 à 1972 en République fédérale allemande à l'encontre de réservistes du 101e bataillon de la police, et particulièrement les témoignages de 210 de ces anciens soldats, près de la moitié des hommes de cette unité, que Christopher R. Browning a pu écrire ce livre. Il relate comment, dans la Pologne occupée, ils ont assassiné d'une balle dans la tête 38 000 juifs et en ont arrêtés 45 000, immédiatement déportés, puis gazés à Treblinka. Le récit précis, détaillé, des massacres et rafles commis par ces hommes est bien sûr pénible, pesant, mais se révèle indispensable pour mettre en perspective leurs personnalités.

Ils ne sont point des spécialistes, membres d'unités mobiles de la SS, les Einsatzgruppen, mais des hommes ordinaires, pour beaucoup quadragénaires, pères de famille, réservistes rappelés dans un corps chargé du « maintien de l'ordre » du fait de leur probable incapacité sur un champ de bataille. Cette recherche nous permet de comprendre comment ces hommes on pu perpétrer ces crimes. Originaires pour la plupart de Hambourg, ville assez hostile aux nazis, ils provenaient de milieux relativement peu perméables à l'idéologie du Troisième Reich. Ainsi, pour 63 % d'ouvriers (mais très peu d'ouvriers professionnels), 35 % d'employés (que le traducteur dénomme « petits-bourgeois »), seuls 2 % « exerçaient une profession relevant de la classe moyenne, et à un niveau très modeste, comme pharmacien et instituteur ».

Éloignés donc de l'image du tueur raciste fanatisé dès son enfance, puisqu'ils ont vécu la plus grande partie de leur âge adulte dans l'Allemagne de Weimar, ils eurent par surcroît la possibilité, mentionnée par leurs officiers, de se soustraire aux assassinats dont ils étaient chargés. Seuls 10 à 20 % ne participèrent pas aux massacres, et les raisons qu'ils avancent sont significatives : peur d'apparaître comme lâches, de « perdre la face ». Devant les enquêteurs, vingt à trente ans plus tard, les policiers tentaient des explications plus élaborées, tel un serrurier qui avait alors trente-cinq ans : « Je me suis efforcé, et j'ai pu le faire, de tirer seulement sur les enfants. Il se trouve que les mères tenaient leurs enfants par la main. Alors, mon voisin abattait la mère et moi l'enfant qui lui appartenait, car je me disais qu'après tout l'enfant ne pouvait pas survivre sans sa mère. C'était pour ainsi dire une manière d'apaiser ma conscience que de délivrer ces enfants incapables de vivre sans leur mère ». Ainsi que l'explique un des réfractaires : « Pour ce type d'action, les officiers prenaient des “hommes” avec eux, et à leurs yeux, je n'étais pas un “homme” ». Christopher R. Browning aborde à nouveau ces discours dans sa conclusion : « Insidieusement donc, la plupart de ceux qui n'ont pas tiré n'ont fait que réaffirmer les valeurs “machistes” de la majorité, selon lesquelles c'était une qualité que d'être assez “dur” pour tuer des civils non armés, des femmes et des enfants ».

Prendre part à ces massacres et à ces rafles n'était pas aussi aisé que pourraient le faire croire les récits des anciens policiers, parmi lesquels certains réfractaires expliquaient seulement leur refus par le fait qu'ils ne désiraient point faire carrière dans la police. Ainsi, l'auteur consacre un chapitre entier aux « étranges ennuis de santé du capitaine Hoffmann », auquel « le meurtre de masse […] faisait mal au ventre ». Un de ses subordonnés, ne trouvant pas le sommeil des décennies plus tard, alors qu'il tentait de dissimuler sa participation à des exécutions sommaires, alla spontanément témoigner auprès du procureur d'État de Hambourg chargé de l'enquête, en une démarche que l'on peut sans hésitation qualifier de thérapeutique. Une autre composante, dont il n'est pas effectué une approche synthétique, mérite d'être relevée : la consommation d'alcool, et particulièrement de schnaps, est évoquée de manière si récurrente que l'on est en droit d'estimer qu'il s'agit véritablement d'un élément constitutif de ce stade de la Shoah. Bien que cela soit un aspect largement secondaire de son étude, l'auteur aborde aussi les problèmes économiques, notamment de pénurie de main d'œuvre, consécutifs à l'extermination d'une partie de la population polonaise. Ainsi, les tanneries perdirent la plus grande part de leur personnel qualifié, mais firent aussi défaut des artisans d'autres corps, charrons, ébénistes, forgerons…

Ce travail d'une exceptionnelle importance a pu être effectué grâce à des sources uniques, datant des années soixante, et réalisées pour un autre usage. Aussi, si elles sont utilisées avec la rigueur qui s'impose à l'historien, elles se révèlent d'une toute autre nature que les sources orales recueillies directement par celui-ci dans le cadre de ses recherches. C'est le principal intérêt de cet ouvrage, qui est en train de devenir une indispensable référence, que d'aborder la Shoah par d'autres aspects que bureaucratiques, administratifs ou idéologiques. Les atrocités commises par le 101e bataillon de réserve de la police n'ont pu atteindre une telle ampleur que parce qu'elles étaient organisées et planifiées par l'État nazi, dans le cadre d'une politique dont la spécificité en est un élément primordial de compréhension. Mais la volonté de Christopher R. Browning de les mettre en rapport avec des crimes de guerre - à dimension raciste pour certains d'entre eux et ne relevant pas non plus du « délire du champ de bataille » - commis au cours de ce conflit, lui permet de révéler certaines clefs du comportement de ces policiers en évitant de sombrer dans des réductions germanophobes.

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