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Bruno Mégret, le technocrate

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  Bruno Mégret, le technocrate Empty Bruno Mégret, le technocrate

Message  Admin Ven 29 Juil - 16:14

http://www.lemonde.fr/politique/article/2011/07/27/les-numeros-deux-du-fn-3-4-bruno-megret-le-technocrate_1550919_823448.html#xtor=AL-32280184



Ce 11 décembre 1998, lors d'une réunion publique du Front national à Metz, Jean-Marie Le Pen, cravate et veste noire, lâche, cinglant : "Ce qui me différencie de César, qu'approchait Brutus le couteau à la main et qui releva sa toge pour se couvrir la tête, c'est que, moi, je sors mon épée et je tue Brutus avant qu'il ne me tue !" Une quarantaine de mégrétistes se lèvent alors et quittent la salle. Le président du FN se passe la langue sur les lèvres et engloutit un verre d'eau. Il vient de franchir le Rubicon en poussant son second à la scission. Le Pen avait averti quelques semaines plus tôt : "Il n'y a qu'un seul numéro au FN, c'est le numéro un."

Bruno Mégret n'a pas le profil habituel d'un cadre du FN. Il est né en 1949, d'un père énarque et centriste qui a fait carrière dans la haute fonction publique. Lui-même a intégré Polytechnique en 1969 avant de terminer ses études à l'université de Californie, centre de la contre-culture. Revenu en France, il intègre le commissariat au Plan. C'est autour d'un plateau-repas qu'il sympathise avec un collègue, Yvan Blot. Celui qui va devenir son mentor l'amène aux réunions du Club de l'Horloge, un cercle de hauts fonctionnaires aux idées radicales. "Le Club est le côté néolibéral et occidentaliste de la nébuleuse de la Nouvelle Droite, explique le politologue Stéphane François (Université de Strasbourg). Celle-ci veut faire revivre l'héritage indo-européen et préserver 'l'identité' biologique et culturelle des groupes ethniques." Les "horlogers" prennent leur carte dans les partis de droite. Bruno Mégret choisit le RPR, et Charles Pasqua le place au comité central en 1979.

RALLIEMENT

Le traumatisme de la victoire de la gauche en 1981 amène les droites à créer une noria de clubs afin de se lancer dans la bataille des idées. Pour Patrick Buisson, actuellement conseiller de Nicolas Sarkozy, ces structures doivent "former, maillon après maillon, la chaîne de la résistance à l'emprise idéologique de l'Etat socialiste". Mégret quitte le RPR et lance ses Comités d'action républicaine en 1982. S'y retrouvent aussi bien des déçus de la droite que des radicaux. En 1983, il réunit une centaine d'associations dans une confédération des clubs. La même année est marquée par le succès à Dreux du secrétaire général du Front national, Jean-Pierre Stirbois.

Cela n'impressionne pas Bruno Mégret, qui ne donne pas cher d'un FN qu'il décrit comme englué dans son passéisme et son amateurisme. Celui qui va le convaincre de s'y rallier s'appelle Jean-Yves Le Gallou. En 1985, cet énarque et membre de la direction du Parti républicain (UDF), comme du Club de l'Horloge, a été déçu par l'accueil fait à son livre La Préférence nationale. Il passe au FN, où son concept devient le mot d'ordre du parti. Avec Patrick Buisson, ils encouragent Mégret à faire le pas.

Il ne s'encarte pas, mais rallie avec ses clubs les listes du Rassemblement national présentées par le Front aux législatives de 1986. A ceux que son ralliement étonne, Mégret répond invariablement : "Mieux vaut être numéro deux au FN que numéro trente au RPR." Aujourd'hui, il résume ainsi l'impression que lui a faite sa nouvelle famille politique : "Un parti artisanal constitué de multiples chapelles issues de l'extrême droite et d'une masse de militants et de cadres nouveaux, venus pour beaucoup du RPR. Il n'existe pas de cohérence politique ni idéologique." Il va tenter d'y mettre de l'ordre.

Au sein du groupe parlementaire frontiste, entre 1986 et 1988, le profil sociologique de Bruno Mégret fait croire qu'il est un modéré alors qu'il est déjà un des plus radicaux. Le notable catholique Olivier d'Ormesson, qui permit à Jean-Marie Le Pen de rencontrer le pape Jean Paul II, doit prendre en charge l'organisation de la campagne présidentielle. Mais il se retire après que Le Pen a qualifié de "point de détail" l'utilisation des chambres à gaz par les nazis. Bonne nouvelle pour Mégret que Le Pen nomme à la place vacante, pour contrer Stirbois.

En fait, Le Pen scinde en deux le poste de second : à Stirbois ce qui relève de l'appareil, au nouveau délégué général, Bruno Mégret, ce qui a trait à la doctrine et à la propagande. "Le Pen éprouvait du mépris pour ceux qui se soumettaient à lui et il ne supportait pas ceux qui lui tenaient tête, se souvient aujourd'hui Bruno Mégret. Il ne me supportait pas mais ne me méprisait pas. Et de mon côté, il en allait de même à son égard." Stirbois meurt en novembre 1988 dans un accident de voiture. Jean-Marie Le Pen enchaîne dès lors une décennie d'erreurs stratégiques. D'abord, il liquide les soutiens du défunt. Il n'a donc plus un clan à opposer à un autre.

CONFRONTATION

Pis : il conserve la structure duale, dans le but de gêner Bruno Mégret. Il nomme au secrétariat général Carl Lang puis Bruno Gollnisch, qui ne noyautent pas l'encadrement. Carl Lang se tient à dessein en retrait. Il est conscient que tout succès personnel d'un cadre annonce sa liquidation. Le système bicéphale ne pouvait fonctionner au profit du numéro un qu'avec deux "Brutus" en concurrence : rien ne s'oppose plus à la machine mégrétiste. Pour Carl Lang, la campagne de 1988 a prouvé que Mégret était "un remarquable chef d'état-major" et que, n'eût été l'affaire du "point de détail", Le Pen aurait pu arriver au second tour.



Bruno Mégret, numéro deux du FN, et Carl Lang, secrétaire général, le 12 janvier 1992, à Paris.AFP / JEAN-LOUP GAUTREAU

En somme, il s'inquiète plus de la fiabilité du chef que de celle du second… La voie est libre pour Bruno Mégret. Il place ses hommes, généralement issus de la Nouvelle Droite, à tous les postes-clés. L'effondrement du bloc de l'Est a rendu obsolète l'outillage idéologique anticommuniste de la vieille garde. Mégret avance son propre corpus intellectuel. Un mois après la chute du Mur, il lance la revue doctrinaire frontiste Identité. Il contrôle l'institut de formation des élus et militants. Il produit des listes de thèmes et de mots que ces derniers doivent aborder selon la profession de leur interlocuteur.

L'idéologie du FN se radicalise. Désormais, on met en avant l'opposition planétaire entre les partisans de "l'identité" et ceux du "nouvel ordre mondial". Bruno Mégret cloue au pilori la "volonté de déracinement ethnique, volonté de métissage culturel" du "système" qui utiliserait l'immigration pour assurer une "colonisation". Il lui oppose un Front national assimilé à la "Résistance".

En 1991, il avance ses "50 propositions sur l'immigration". Il propose, entre autres, une vague de dénaturalisation car "l'identité française est liée au sang". Le gouvernement de Vichy est le seul à avoir eu une telle politique. Bruno Mégret sait bien que le thème est explosif, Jean-Pierre Stirbois avait dû à plusieurs reprises démentir des propos en ce sens. Pour être certaine que le scandale éclate, l'équipe mégrétiste a pris soin de faxer le document aux associations antiracistes.

En revanche, le délégué général n'a pas averti Jean-Marie Le Pen. Les "50 propositions" sont un peu une réponse au "point de détail". Comme le dit Lorrain de Saint-Affrique, alors conseiller en communication de Le Pen : "Mégret venait de lui signifier qu'il n'avait plus le monopole du dérapage compétitif." Le clou est enfoncé.

En 1993, Bruno Mégret chapeaute le programme frontiste pour qui "un libre-échangisme sans frein détruit les économies nationales au seul profit de l'idéologie cosmopolite". Il s'agit moins de protester contre les effets sociaux de la mondialisation que d'affirmer qu'elle constitue une destruction des nations et du patrimoine génétique de leurs peuples. Cela permet à Bruno Mégret d'enclencher un tournant dans un parti dont le chef se voulait le "Reagan français".

STRATÉGIE

La transfiguration du parti ne se fait pas sans heurts. En interne, Roger Holeindre, l'un des plus vieux compagnons de Le Pen, dénonce le risque de voir le FN se muer en "parti nazi". Devant la presse, Lorrain de Saint-Affrique condamne les pulsions nazifiantes de cadres mégrétistes. Il est exclu. Car si Jean-Marie Le Pen s'agace de l'empressement de son second à le pousser vers la sortie, il valide ses orientations.

Après 1995, le putsch idéologique est repérable en trois radicalisations du discours du président du FN, accordant son imprimatur à des thèses nettement plus radicales qu'antérieurement : la dénonciation d'un complot mondialiste dirigé contre les nations et les "travailleurs" par la "fortune anonyme et vagabonde" ; l'affirmation de "l'inégalité des races" et enfin l'idée que la nationalité repose sur le sol, le sang et l'âme des peuples. Selon les principes de la Nouvelle Droite, la victoire idéologique entraîne la victoire politique. C'est là où le technocrate Mégret va découvrir que celui qu'il ne nomme plus guère que "le Vieux" reste un redoutable adversaire.

A l'été 1995, Bruno Mégret tire les conséquences de la présidentielle d'avril où Le Pen a obtenu 15 % des suffrages : la voie de la prise du pouvoir par le seul charisme du tribun ne peut fonctionner, il faut une stratégie "à la base". Elle commence avec les municipales. Pour conquérir la mairie de Vitrolles (Bouches-du-Rhône), une terre déjà labourée par Stirbois, Mégret fait venir des militants de toute la France.

Fleurissent sans discontinuer des associations locales dont l'activité se limite à placer dans les boîtes aux lettres le message de telle ou telle catégorie de Vitrollais appelant à voter Mégret. La ville est conquise de haute lutte. Lui, le stratège, l'idéologue, est enfin reconnu comme un homme de terrain. Dans la légende frontiste, la victoire de Vitrolles vient dépasser celle de Dreux en 1983. L'Evénement du jeudi barre sa couverture d'un "Cet homme est plus dangereux que Le Pen".

Alors que le délégué général souhaite imposer une alliance aux droites, Le Pen veut favoriser la gauche. En 1995, il déclare que "Chirac c'est Jospin en pire". Les mégrétistes parlent de mettre fin à la "dérive monégasque" du FN. Au congrès de 1997, ils battent Marine Le Pen, qui n'est pas élue au comité central. Pour les régionales de 1998, ils parviennent à imposer leur stratégie. Le Pen prend soin d'aller sur la tombe du "nationaliste-révolutionnaire" François Duprat pour menacer : en aucun cas le parti ne doit trahir ses racines anti-système. Pendant ce temps, sur ses affiches, Mégret se présente comme "National et Républicain". Cinq régions sont gagnées par une alliance droite-FN. La dissension fait exploser la droite : les partisans de l'union quittent l'UDF pour former Démocratie libérale, qui intégrera ensuite l'UMP.


Jean-Marie Le Pen, Bruno Mégret et Bruno Gollnisch, le 11 mars 2007, lors d'un meeting à Lyon.AFP / MARTIN BUREAU


SCISSION

Le succès précipite l'affrontement : ne pouvant se présenter aux futures européennes, Le Pen évoque son épouse pour conduire la liste. Mégret n'apprécie pas la provocation et condamne publiquement l'idée. Pour régler le litige, les chefs s'enferment avec, en cas de besoin, leurs trois gardes du corps respectifs devant la porte. Le 4 décembre 1998, veille de conseil national, Jean-Yves Le Gallou lâche : "La phase diplomatique est terminée, on passe à la phase militaire." Le lendemain, Jean-Marie Le Pen est hué, sifflé. La bourrasque fait éclater le FN.

Les scissionnistes créent un nouveau parti, d'abord baptisé Front national-Mouvement national, emportant derrière Mégret plus de la moitié des secrétaires départementaux et des conseillers régionaux. Les mégrétistes cultivent l'idée que la droite va empêcher Le Pen d'obtenir les 500 signatures pour la présidentielle, et qu'ils récupéreront le leadership à l'extrême droite tout en se liant aux droites. La compétition est finalement ouverte, le candidat Bruno Mégret tente de faire la différence avec un thème neuf : l'islam. Peine perdue, le 21 avril 2002, Le Pen est au second tour de la présidentielle. Pour Mégret, c'est la fin.

Retiré de la vie publique en 2008, il tire le constat suivant de ces années d'affrontement : "Deux conceptions de l'avenir du Front national s'affrontaient… Il s'agissait simplement pour Le Pen de jouir de la notoriété, du prestige et des avantages financiers que lui procurait un électorat dont il limitait l'ampleur par ses dérapages et l'ostracisation qui en résultait. Et il y avait par ailleurs ma conception, partagée par une écrasante majorité des cadres, qui cherchait à faire du FN une grande formation capable de passer des alliances, de gouverner, de perdurer et donc d'exister en dehors de Le Pen. Mes succès en tant que numéro deux ont été d'avoir créé les structures de cette grande formation. Mon échec a été de n'avoir pu empêcher le numéro un de les détruire."

En 2011, les pages Bruno Mégret et Jean-Marie Le Pen sont presque tournées, les mégrétistes sont revenus nombreux au FN. Fallait-il que tout change pour que rien ne change ?
Joseph Beauregard et Nicolas Lebourg




Parcours


1949 Bruno Mégret naît à Paris. Son père est haut fonctionnaire.
1969 Il intègre l'Ecole polytechnique.
1975 Il entre au commissariat au Plan.
1976 Il devient un pilier du Club de l'Horloge.
1979 Catapulté par Charles Pasqua, il entre à la direction du RPR.
1981 Baptême du feu électoral contre Michel Rocard.
1982 Il fonde les Comités d'action républicaine.
1986 Il est élu député Rassemblement national de l'Isère.
1988 Il dirige la campagne présidentielle de Jean-Marie Le Pen et devient numéro deux du FN où il vient de s'encarter.
1995 Candidat malheureux à la mairie de Vitrolles, il devient inéligible pour ses dépenses de campagne.
1997 Son épouse est élue maire de Vitrolles.
Décembre 1998- janvier 1999 Scission du FN et fondation du Mouvement national républicain.
21 avril 2002 Il obtient 2 % des voix à la présidentielle.
2007 Il soutient la candidature de Jean-Marie Le Pen à l'élection présidentielle.
2008 Il annonce qu'il se retire de la vie politique.



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