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Le premier parti des ouvriers c’est l’abstention, pas le Front national

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Le premier parti des ouvriers c’est l’abstention, pas le Front national Empty Le premier parti des ouvriers c’est l’abstention, pas le Front national

Message  Admin Mer 22 Déc - 16:16


Par Patrick Lehingue ⋅ http://www.delairagauche.net/?p=1302


Avez-vous été surpris du score du Front national aux élections régionales ?

Non, je ne suis pas du tout surpris. J’avais même anticipé le fait qu’au second tour le parti de Jean-Marie Le Pen allait encore augmenter son score, contrairement aux élections passées où, en triangulaire, le FN perdait habituellement du terrain. Cela m’apparaissait comme une évidence, tant l’écart entre la gauche et la droite était important dans ces régions. En Picardie, par exemple, ses militants ont mené une campagne en retournant habilement le stigmate du «vote utile»: le FN était en mesure de se présenter comme le barrage au maintien de la gauche, un rôle traditionnellement tenu par l’UMP. D’ailleurs, la seule région où les frontistes reculent au second tour est l’Alsace, zone où la droite et la gauche étaient au coude à coude. Je n’ai jamais cru que l’UMP allait siphonner définitivement les électeurs du FN, même si l’appareil politique du parti et ses finances sont en très mauvais état.

Pourquoi le FN était-il donné comme moribond, il y a de cela encore quelques semaines ?

Les commentateurs prennent leurs désirs pour des réalités depuis quinze ans. Aussi bien au sein du personnel politique que parmi les éditorialistes ou les sondeurs. Tous les deux ans, ce tout petit monde se rassure lors de la publication d’un sondage, à chaque fois très médiatisé, qui leur donne l’occasion d’affirmer que les idées du Front national régressent au sein de la population. Ce n’est pourtant pas des plus évidents. En décembre dernier encore, ce type de sondage a été mené par la Sofres pour le quotidien Le Monde. Ces commentateurs s’illusionnent d’autant plus facilement que la persistance d’un parti d’extrême droite depuis 1984 au pays des droits de l’homme, selon l’expression consacrée, les trouble. Ainsi, certains de mes anciens étudiants viennent de travailler pour trois des principaux instituts de sondage. Or, selon les informations qu’ils m’ont fait parvenir, leurs dirigeants étaient convaincus de la faiblesse du parti de Jean-Marie Le Pen. Si bien qu’au moment de «redresser» les résultats bruts issus des entretiens avec les futurs électeurs, les intentions de votes pour le FN ont été arbitrairement plafonnées à 8,5%. Un score supérieur leur paraissait tout simplement inconcevable!

Pourquoi Nicolas Sarkozy n’a-t-il pas réussi à retenir les électeurs du FN qui avaient assuré sa victoire en 2007 ?

D’abord, il faut avouer qu’on ne sait pas vraiment pourquoi l’UMP a perdu des voix parmi les professions d’indépendants qui avaient été séduits en 2007 par le discours contre les impôts, les fonctionnaires… Si on se concentre sur les restaurateurs et les cafetiers, le mystère s’épaissit encore, car ils ont empoché trois milliards d’euros de baisse de TVA, un cadeau qui représente l’équivalent de ce que prévoit d’économiser le gouvernement en ne remplaçant pas les fonctionnaires partant à la retraite les cinq prochaines années. Concernant l’électorat populaire, il faut surtout faire attention. Certes, à la présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy avait capté des ouvriers qui votaient jusque-là pour le Front national, mais il y a eu un contresens dans les médias sur la signification de ce ralliement temporaire. Ils avaient été séduits par les promesses de Nicolas Sarkozy portant sur la «rupture», le «travailler plus, pour gagner plus», la «valeur travail». Tandis que les aspects sécuritaire et identitaire du candidat de l’UMP ont probablement joué un rôle mineur. Désormais, une partie de ces électeurs sont revenus vers le FN car la crise a brutalement démonétisé ces slogans de campagne. L’UMP n’est sans doute pas près de récupérer cette fraction de l’électorat.

Comment avez-vous mis ce renversement en évidence ?

A l’université de Picardie, nous avons concocté un questionnaire que nous avons utilisé à la sortie d’un bureau de vote très populaire d’Amiens, qui a voté à 15% pour le Front national en 2007. Une partie des 60 questions portaient sur les priorités de ces électeurs: seuls 2% d’entre eux ont placé l’insécurité en tête de liste, tandis que l’identité nationale n’a été citée que par un seul électeur sur les deux cents qui ont répondu. A 95%, soit une écrasante majorité, la priorité des votants allait au travail et à des thèmes qui lui sont liés, comme le développement économique et l’éducation. Quand on voit que l’identité nationale a été agitée par le microcosme parisien pendant six mois – en liaison avec la déferlante médiatique contre la candidate voilée du Nouveau parti anticapitaliste –, on mesure la distance qui sépare les fantasmes des uns des attentes des autres. On voit aussi la vanité de certains «coups» politiques conçus, entre parenthèses, à la suite du référendum helvétique sur les minarets.

Les classes populaires ont-elles voté massivement pour ce parti ?

Non, c’est encore une idée erronée qui sert surtout a stigmatiser les ouvriers, censés être désespérés et en mal de leader… C’est très probablement une manifestation inconsciente de racisme de classe démenti par les faits. Comme le dit très bien la chercheuse Annie Collovald: «De cause à défendre, le « peuple » est devenu pour une partie de la classe politique et des intellectuels un problème à résoudre.» (1) Or, qu’indique le sondage de la Sofres (avec toutes les limites de cet instrument)? Les ouvriers se sont abstenus à 69%! Le premier parti des ouvriers reste avant tout l’abstention et non pas le FN, comme on l’écrit trop rapidement. Parmi les ouvriers qui ont voté, 22% auraient choisi le parti de Jean-Marie Le Pen. Mais cela ne représente donc que 6% de l’ensemble des ouvriers inscrits sur les listes électorales. Or, le même sondage montre que les artisans et les commerçants, moins abstentionnistes, sont proportionnellement aussi nombreux que les ouvriers à voter pour le FN. Mais, étrangement, aucun journal ne le relève et personne ne songe à stigmatiser ces professions.

Note :
(1) «Le « Populisme du FN » un dangereux contresens» (Ed. du Croquant, septembre 2004, 12 euros).
_____________________________________________________________________

Patrick Lehingue est professeur de science politique à l’université Picardie Jules Verne. Il a publié « Subunda. Coups de sonde dans l’océan des sondages » (Ed. du Croquant, février 2007, 18,50 euros).

Propos recueillis par Olivier Vilain, pour Le Courrier (Suisse) du 26 mars 2010

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